(Boursica.com) Kalray est une Sté spécialisée dans les microprocesseurs à très forte capacité de calcul et très faible consommation. Pouvez-vous nous rappeler sur quels marchés vous intervenez ?
(Eric Baissus, Kalray) Nous développons des processeurs dédiés aux systèmes intelligents et adressons principalement deux marchés estimés à plus de 1 milliard d'euros chacun d'ici 2022 avec des croissances moyennes de plus de 60% : celui des datacenters intelligents et celui des nouvelles générations de véhicules, notamment des véhicules autonomes.
(Boursica.com) Êtes-vous intéressés par le marché de la Blockchain ?
(Eric Baissus, Kalray) Ce n'est pas un marché que nous visons car il est très volatil. Si ce marché décolle, il y aura des processeurs dédiés qui n'adresserons que la Blockchain. Actuellement, nous préférons nous concentrer sur ceux des datacenters intelligents et de la voiture intelligente, des marchés à très fort potentiel et ayant plus de visibilité.
(Boursica.com) Kalray est entré en bourse en juin 2018 en levant près de 48 millions d'euros. Au premier semestre, vous avez annoncé un chiffre d'affaires de 322 000 euros contre 475 000 euros un an plus tôt et enregistré une perte nette de 5 millions d'euros contre une perte nette de 3,64 millions d'euros, un an plus tôt. Comment doit-on interpréter ces chiffres ?
(Eric Baissus, Kalray) Il faut bien comprendre que Kalray est une « deeptech », c'est-à-dire une société qui possède une très belle technologie en train d'être déployée sur ses marchés cibles. Après une longue phase de développement technologique, nos solutions sont aujourd'hui prêtes à être commercialisées en volume. Notre chiffre d'affaires 2018 était encore peu significatif, provenant principalement de ventes de cartes et de stations de développement autour de nos processeurs auprès de clients en phase d'évaluation ou de qualification des produits.
Les premières ventes en volume de nos solutions sont attendues dès cette année sur le segment des datacenters, puis à partir de 2022 pour les voitures intelligentes. Nous sommes à l'aube de la phase de déploiement commercial, qui doit nous permettre d'atteindre l'équilibre opérationnel en 2020 et un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros en 2022.
À titre d'exemple, nous travaillons aujourd'hui avec Renault qui a développé un premier prototype de voitures autonomes, Symbioz, intégrant nos processeurs. Le potentiel de revenu issu de la vente de nos puces pour juste un prototype est bien sûr limité. En revanche, lorsque nos clients seront en production, ce sont plusieurs centaines de millions par an de chiffre d'affaires à la clef.
(Boursica.com) Doit-on comprendre que l'augmentation du chiffre d'affaires de Kalray est liée à l'essor du véhicule autonome ?
(Eric Baissus, Kalray) Non parce que comme précisé, nous nous positionnons sur deux marchés. Sur le premier marché, celui des datacenters, nous avons déjà des solutions certifiées et ce marché sera source de revenus dès 2019 alors qu'il faudra attendre 2022 pour générer des revenus significatifs issus du marché des véhicules autonomes. En revanche, les enjeux stratégiques sont énormes, tout autant que les montants pour ce dernier.
(Boursica.com) Vous nous parlez de Renault, travaillez-vous avec d'autres constructeurs automobiles qui pourraient utiliser des puces Kalray ?
(Eric Baissus, Kalray) Nous avons des relations privilégiées avec Renault qui est un actionnaire de Kalray via l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. Je ne peux pas vous révéler les noms des autres constructeurs et intégrateurs avec qui nous travaillons mais il s'agit d'une douzaine d'acteurs de 1er plan du secteur de l'automobile, que ce soit aux États-Unis, en Europe ou au Japon, où d'ailleurs nous avons un bureau dédié au marché automobile.
(Boursica.com) Comment êtes-vous positionnés par rapport à vos principaux concurrents ?
(Eric Baissus, Kalray) Nous avons des concurrents différents pour chaque marché. Sur celui des datacenters, nos concurrents sont essentiellement deux sociétés : Broadcom, un géant américain du secteur des semi-conducteurs et Mellanox Technologies, une société plus jeune mais déjà valorisée plusieurs milliards. Notre principal avantage concurrentiel est lié à notre technologie de rupture qui nous permet d'avoir des capacités de calculs à peu près dix fois plus fortes que nos concurrents, le tout, en consommant beaucoup moins d'énergie.
Le deuxième marché est celui des voitures intelligentes. Notre principal concurrent, Nvidia, crée notamment des cartes graphiques. Kalray atteint le même type de performance que les produits Nvidia, à la différence considérable que notre solution est certifiée, ce qui lui confère une fiabilité et une sûreté sans égal. La raison qui explique notre spécificité est que nous sommes un essaimage du CEA et que Kalray a, à l'origine, développé ses solutions aux côtés de grands constructeurs de l'aérospatiale, des groupes comme Airbus et Air France, où les applications des composants sont soumises à certification. Ce n'est bien sûr pas le cas des cartes graphiques... C'est un avantage unique qui doit être prévu dès le début de la conception.
Les acteurs du monde automobile rencontrent aujourd'hui les mêmes problématiques de fiabilité et de sécurité. Le vrai challenge de l'industrie des véhicules autonomes est de rendre sûre l'intégration de processeurs. C'est l'une des raisons pour lesquelles NXP nous a choisis.
(Boursica.com) Où en êtes-vous sur le projet Apollo annoncé en septembre 2018 ?
(Eric Baissus, Kalray) Le projet Apollo est une solution logicielle lancée par Baidu, le « Google chinois », permettant aux constructeurs de voiture de développer leurs propres systèmes de conduite autonome. Nous avons associé récemment notre processeur à la plateforme Apollo et ainsi démontré sa performance en matière d'intelligence artificielle et d'accélération des fonctions liées à la perception. Plus de 100 membres internationaux ont rejoint le projet Apollo, parmi lesquels plusieurs équipementiers automobiles mondiaux de 1er rang ainsi que la plupart des grands constructeurs automobiles en Chine. Ce partenariat nous permet donc de nous positionner auprès de ces acteurs et d'offrir une solution « packagée » dans la mesure où notre processeur et le code de Baidu marchent ensemble et peuvent être utilisés par les clients finaux, qui peuvent ainsi les intégrer rapidement à leurs produits.
(Boursica.com) En janvier vous avez conclu un partenariat avec la Sté NXP Semiconductors pour fournir une solution sûre et fiable pour les véhicules autonomes, qu'attendez-vous comme retombées commerciales de cette association ?
(Eric Baissus, Kalray) Il s'agit d'un partenariat stratégique avec le plus gros fabricant de semi-conducteurs à destination des véhicules. Ensemble, nous allons fournir au marché une solution commune combinant nos deux puces. Il y a deux aspects très intéressants pour Kalray, l'aspect crédibilité et l'aspect que l'on appelle « go to market », dans la mesure où NXP nous ouvre un accès considérable au marché.
Les retombées commerciales à moyen et long termes sont potentiellement énormes. Nous venons de signer avec un géant des semi-conducteurs qui nous permettra d'adresser et de pousser nos solutions auprès d'un nombre considérable de fabricants de voitures. Nos prévisions sont que les revenus de Kalray sur le segment des véhicules intelligents décolleront très fortement en 2022-2023.
(Boursica.com) Finalement on pourrait penser que vous finirez par vous faire absorber par NXP ?
(Eric Baissus, Kalray) Notre technologie de rupture attire les regards car elle représente une valeur stratégique aux yeux de grands acteurs. À ce titre, nous pourrions en effet devenir à terme une proie potentielle.
(Boursica.com) Quel est l'intérêt pour un développeur d'utiliser la solution KANN (Kalray Neural Network 3.0) ?
(Eric Baissus, Kalray) La solution KANN est une solution qui permet de développer très facilement des applications en intelligence artificielle sur notre processeur tout en optimisant leurs performances. C'est un outil indispensable par exemple pour les constructeurs de voiture.
(Boursica.com) Dans le cadre d'une levée de fonds en 2017, l'équipementier aéronautique Safran est entré dans votre capital. Quelles sont vos relations industrielles et commerciales avec cet actionnaire ?
(Eric Baissus, Kalray) Safran est actionnaire de Kalray depuis 2017 et a aussi participé à l'introduction en bourse de Kalray en 2018 pour un montant total de 5 millions d'euros. C'est aussi un client. Ces deux rôles nous amènent à avoir une relation privilégiée et stratégique et nous travaillons ensemble pour développer leur prochaine génération de produits. Mais Il n'y a pas d'exclusivité ou de relation spéciale par rapport à nos autres actionnaires ou clients. C'est une très belle société avec qui nous travaillons de manière étroite.
(Boursica.com) Nous parlons de voitures autonomes, mais le développement des drones, des avions autonomes est-il aussi source d'opportunités pour Kalray ?
(Eric Baissus, Kalray) Ce sont en effet des marchés que nous visons à terme, même s'ils ne sont pas prioritaires aujourd'hui car les volumes restent faibles. Le travail que nous avons fait dans l'aérospatial, maintenant valorisable dans la voiture, peut se dupliquer à ces marchés. Nous voyons beaucoup de connexions entre ces marchés, à l'image des taxi-drones, impliquant énormément d'applications autour de nos technologies.
(Boursica.com) De plus en plus d'observateurs avancent que le secteur des semi-conducteurs est « en haut de cycle », comment vous positionnez-vous face à ces anticipations, qui ont coûté cher au secteur en 2018 ?
(Eric Baissus, Kalray) Je pense qu'il faut distinguer les semi-conducteurs en général, du marché de l'intelligence artificielle qui est en train d'exploser. Nous nous situons sur une « grosse » niche des semi-conducteurs, celle de l'intelligente artificielle. Aujourd'hui, sur cette niche, c'est tout l'inverse.
C'est un marché qui représente un potentiel considérable, drivé par l'essor des nouveaux systèmes intelligents (réseaux informatiques de nouvelle génération, véhicules autonomes, intelligence artificielle...), qui attire de nombreux investissements.
(Boursica.com) Pour finir, quelle est l'ambition de Kalray pour les 5 ans à venir en termes de chiffres d'affaires, de rentabilité et de retour aux actionnaires ?
(Eric Baissus, Kalray) Notre ambition est de réaliser plus de 100 millions d'euros de chiffres affaires en 2022. Comme nous l'avons présenté lors de notre entrée en bourse, ces chiffres d'affaires sont essentiellement issus du monde des datacenters. Le marché des voitures est une formidable opportunité de création de valeur pour Kalray mais dont nous estimons pour l'instant l'impact sur notre chiffre d'affaires qu'à partir de 2022-2023.
Pour faire 100 millions d'euros CA en 2022, Kalray vise 10% du marché des processeurs pour les nouveaux serveurs de stockage intelligent. C'est un marché qui en train de se créer et d'exploser, qui représente environ un milliard d'euros en 2022 et sur lequel nous ambitionnons à terme d'être un des leaders mondiaux. 10% est donc un objectif raisonnable.
L'autre objectif annoncé au moment de notre IPO et à plus court terme est l'atteinte de l'équilibre opérationnel retraité en 2020.
(Boursica.com) Enfin auriez-vous un point ou sujet d'actualité de Kalray que vous souhaitez transmettre aux investisseurs ?
(Eric Baissus, Kalray) Notre dernière actualité tourne bien sûr autour de l'accord stratégique que nous avons conclu avec NXP. Être reconnu par le plus gros fabriquant de semi-conducteur pour la voiture au monde, nous permet de passer dans une autre dimension et devrait être un signe supplémentaire pour les investisseurs, de la qualité et du potentiel de notre technologie. Notre capacité à mettre en place des accords de visibilité mondiale est un bon élément de réponse aux interrogations que les actionnaires peuvent se poser sur notre capacité à devenir un leader mondial.
(Boursica.com) On l'aura compris, vous prévoyez une très forte croissance sur les prochains exercices. Disposez-vous d'une structure capable de l'absorber ?
(Eric Baissus, Kalray) Sur ce point notre modèle fabless, c'est-à-dire sans usine, est un atout considérable. Lors de la phase de ramp-up commercial, cela permet d'absorber la demande et de générer ainsi rapidement du chiffre d'affaires sans investissement massif dans des outils de production ou le recrutement. Nous travaillons aujourd'hui avec le leader mondial de la fabrication de processeurs, TSMC, avec lequel nous avons signé un accord-cadre.
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